Pourquoi créer une montre très exclusive en hommage à Mike Hailwood pour le Club Pecqueur Motorists ? Voici l’histoire folle du jour où, 11 ans après sa retraite de plus grand champion moto de tous les temps, Mike Hailwood est revenu à la compétition, sur la course la plus dangereuse au monde.

Tout à perdre, ou presque. La course, l’honneur, la fierté, l’argent engagé. La vie, peut-être. En ce jour de juin 1978, lorsqu’il se présente avec sa Ducati 900SS au départ de la course de TT Formula One, la catégorie reine du Tourist Trophy, Mike Hailwood est empli de doutes. A-t-il raison de se trouver là ?
Evidemment, il est là pour gagner. Comme toujours : il a déjà remporté 12 fois le Tourist Trophy sur les routes démentielles de l’Ile de Man, coincée entre Angleterre et Irlande. Mais voilà : le pilote anglais, auréolé de 9 titres de Champion du Monde, s’est retiré de la compétition moto en 1967. 11 ans plus tôt.

Depuis, il s’est consacré à la course automobile. Champion d’Europe de Formule 2 en 1972, podiums et victoire en Endurance, et 50 courses en Formule 1 depuis 1963 . Jusqu’à ce jour de 1974 où, dans l’enfer vert de la Nordschleife et des forêts de l’Eifel où se trouve le Nürburgring, un grave accident a mis un terme qu’il pensait définitif à sa carrière en compétition. Jambe droite salement brisée, une blessure à la cheville dont il ne se remettra jamais complètement. Il quitte l’automobile sans trop de regrets : de toute façon, il préférait le monde de la moto, plus joueur, plus spontané, plus fou, à celui de la course auto et de la formule 1 en particulier, trop calculateur, trop sérieux. Gros travailleur, Mike Hailwood veut aussi et surtout s’amuser.

Et en moto, il s’est amusé pendant une bonne décennie entre 1957 et 1967. Il a aussi tout gagné, dans toutes les catégories, en travaillant avec humilité et une jubilation communicative, tout gagné sans jamais avoir à sa disposition la toute meilleure machine du plateau. C’est l’homme qui a fait la différence. Mais tout ça, c’était avant, plus de 10 ans avant ce jour du Tourist Trophy.

Aujourd’hui, Mike Hailwood n’est plus tout à fait le fringant jeune homme de ses années de gloire, affuté comme une lame de Sheffield, svelte et vif, élégant en toute occasion, sourire enjôleur et humeur taquine, playboy enthousiaste qui captive le regard des femmes. Dans sa retraite en Nouvelle-Zélande, Mike s’est un peu épaissi ; qui ne l’a pas vu depuis 11 ans sur un circuit moto peine à le reconnaître, avec sa calvitie généreuse et sa demi-couronne de cheveux, portés mi-longs dans la nuque. Et puis, il y a cette gêne perceptible lorsqu’il marche. Mike a 38 ans. 38 ans, ce n’est pas vieux pour le commun des mortels, mais voilà : si, dans sa première vie de motard, Mike n’était ni commun ni, semble-t-il, mortel, qu’en est-il aujourd’hui ?
Course de dingues
En ce jour de 1978, il sent qu’on espère et qu’on tremble pour lui. Créé en 1907, le Tourist Trophy est la course de moto la plus dingue au monde, sans doute la plus dangereuse (pas moins de 267 décès de motards en 102 éditions !). A la fin des années 70, en TT Formula One, on boucle six fois le parcours de 60 km et 264 virages dessiné sur l’Ile de Man, 360 km à plus de 170 km/h de moyenne. Concentration de tous les instants exigée. OK, les protections sont un tout petit peu plus efficaces que lorsqu’il a couru ici pour la dernière fois : les combinaisons sont un peu plus épaisses, et le combo lunettes et casque bol a laissé la place aux casques intégraux.

Mais le Tourist Trophy se court sur un circuit naturel : routes de campagnes, rues de villages… les trottoirs, les cabines téléphoniques, les arbres, les murs de pierre, les angles de maisons que l’on rase, poignée droite à fond, tout est nu, vif, menaçant, mortel. Les pilotes tapent des pointes à 230 km/h sous les arbres aux troncs patibulaires dans les lumières stroboscopiques façonnées par le soleil aveuglant et l’ombre des feuillages. Par endroits, la moto décolle, comme à Ballaugh Bridge où, à l’atterrissage, succède immédiatement un virage à droite entre les maisons du village. Truc de motard. Comme disait Giacomo Agostini, ici, tu dois oublier le danger et la mort. Tu dégoupilles et basta. Du reste, c’est si dangereux que le TT a été retiré du Championnat du Monde de vitesse moto en 1976 au profit de seules courses sur circuits fermés. Mais les plus fous des fous continuent de s’arsouiller sans mesure sur ce circuit dément.
Croire au miracle
Jamais la foule n’a été aussi dense sur les bords des rues et des routes. On vient voir Mike the Bike, idole locale pour les Anglais, déjà un mythe pour tous : Mike est ici chez lui mais, en plus de ses triomphes sur l’île, il compte aussi 76 victoires en Grand Prix pour 152 départs, soit le quota ahurissant de 50% de courses gagnées, 112 podiums, 79 pole positions et 105 records du tour ! D’où son surnom de « Mike the Bike ». C’est une belle allitération, mais surtout un état de fait : on n’a jamais vu une telle osmose entre un homme et sa pratique. Mike, c’est l’essence de la course moto : l’équilibre, la finesse et la précision (« en moto, je ne glisse pas ! »), la hargne, la pugnacité, l’audace et le courage.

Les bobs Martini blancs floqués de son surnom en lettres rouges pullulent. On espère qu’il va gagner. Evidemment, rien n’est moins sûr, cela tiendrait du miracle, mais on aime croire aux miracles. Rien qu’une fois. Comme aux éditions précédentes, comme beaucoup d’autres pilotes aussi, Mike s’est inscrit dans diverses catégories outre la Formula One : Senior, Junior et Classic TT. Pas terrible : sur ses Yamaha, il finira respectivement 28e, 12e, et sur le bas-côté : abandon. Mais s’il n’y a qu’une seule course à gagner, c’est bien celle de la Formula One, au guidon de la Ducati.
Mike n’a aucune certitude, sinon qu’il a préparé la course avec minutie. Pour ne rien regretter. Il sent cependant « que l’île (de Man) continuera à être bonne avec lui » (« I felt the island would continue to be kind to me »). Il sait qu’il n’aurait aucune chance s’il devait s’astreindre à courir toute une saison en Grand Prix, comme autrefois. Mais cette course unique… Alors il a fait préparer en Angleterre sa 900SS achetée au magasin Ducati de Manchester, a bénéficié d’un petit coup de pouce de l’usine (pragmatisme des Italiens, pas franchement convaincus par son retour, mais sait-on jamais…), et a entrepris une tournée d’essais : « On a fait des tests sur des tas de pistes partout en Angleterre, pendant des jours et des jours et des jours. Mais bien sûr, rouler sur des petits circuits n’est pas tout à fait la même chose que de rouler sur l’Ile de Man ».

Comme il connaît par cœur ses routes et ses pièges, Mike sait pourtant ce qu’il convient de faire. Le moteur de la Ducati ? 88 ch, mais pas trop pointu, il faut une large plage d’utilisation, pour exploiter au mieux ses capacités. Le cadre ? Allégé et, pour recevoir les nouveaux slicks fournis par Dunlop, légèrement élargi dans sa partie postérieure. Mais surtout, pour n’être pas handicapé par une cheville droite qui n’a plus la puissance, l’endurance ni l’agilité d’antan, le changement de vitesses est installé à gauche. Et on dirait que ça marche : aux essais de la Formula One, Mike a pulvérisé son propre record de 1967, établi à 172 km/h au guidon d’une Honda 500 cm3 : ses 178.6 km/h en 1978 font qu’on ose y croire quand même, au moins un peu, pour cette course, avec cette machine rouge et verte frappée du numéro 12.
Au nom du père
La légende aimerait qu’entre 1967 et 1978, Mike n’ait pas repris le guidon d’une moto en compétition. On va être honnête : pour situer son niveau, il a bien pris part à quelques courses, notamment en Australie, avant de revenir sur l’Ile de Man. Mais l’essentiel n’est pas là. Oublions.
Pour Mike, un autre évènement capital a marqué le début de l’année : moins de trois mois avant le Tourist Trophy son père Stan est décédé, à l’âge de 75 ans. Stan comptait énormément dans la vie et la carrière de Mike. Homme d’affaires et millionnaire aussi engagé dans la distribution de motos, il a toujours tout fait pour que son fils puisse assouvir sa passion et courir dans les meilleures conditions. Au point qu’on le surnommait « the wallet » (le porte-monnaie), laissant à penser que Mike s’était surtout imposé grâce aux infinies largesses paternelles. Stan en revanche assurait que chaque penny investi dans les motos et la carrière de son fils devait être rentable.

Mike en tout cas n’a jamais rejeté ni fait mystère de l’aide que lui donnait son père. Il en a tiré profit, mais s’est imposé sur les pistes et en dehors par son talent, son travail et l’empathie qu’il manifestait dans ses rapports avec les fans et les autres concurrents.
Sur les images des années de course, entre 1957 et 1967, on voit souvent Stan à proximité de son fils, avant ou après la course : costume bien taillé, moustache blanche soigneusement dessinée, chapeau « grand comme un sombrero » (dixit un journaliste de l’époque, un peu excessif tout de même).

Maintenant, Mike est orphelin de son père, de son bienfaiteur et mentor. Qui ne viendra plus l’enlacer et lui taper sur l’épaule après l’arrivée. Et là, sur la ligne de départ, il contemple pensivement la foule et se dit que ces gens qui, comme son père autrefois, sont venus pour lui, il n’a pas le droit de les décevoir.
Retour gagnant

Et puis c’est le départ. 63 concurrents se disputent la catégorie TT Formula One. Le plus grand concurrent de Mike est Phil Read, « the Prince of Speed ». A son actif, déjà 7 titres de champion du monde et 8 victoires au Tourist Trophy. Beau garçon alerte à la chevelure abondante, Phil a un an et trois mois de plus que Mike, mais il semble plus jeune, et il est bien décidé à faire mordre la poussière au retraité revenant : lui ne s’est pas arrêté de courir. Il a même remporté les catégories Senior et Formula One l’année précédente, il ne va pas s’en laisser compter par une vieille gloire.

La dernière fois que Mike a couru ici, on partait deux à deux en poussant la moto, sur laquelle on se juchait d’abord en amazone avant de l’enfourcher comme un jockey son cheval, une fois qu’on avait la certitude de l’avoir bien lancée. Maintenant, c’est encore paire après paire que l’on s’élance, mais en chevauchant la machine dès la ligne de départ. Mike part 50 secondes après Phil Read et sa Honda four officielle. Immédiatement, Mike vole littéralement sur la route, dans son style habituel, d’une pureté absolue : quand Mike attaque, cela ne se voit pas. On constate juste que ça va diablement vite ! A la fin du premier tour, en temps corrigés, il mène déjà la danse avec 9 secondes d’avance sur son plus proche poursuivant, et 20 secondes sur Phil Read. Dès le 3e des six tours, humiliation : Mike double Read et se construit une avance confortable. Au 5e tour, Read boit le calice jusqu’à la lie : rudoyé sans mesure, poussé à son maximum pour résister puis revenir, son moteur casse.

Hailwood finit la course à sa main, s’enivrant des cris de délire de la foule, qu’il voit gesticuler frénétiquement à son passage, programmes tendus à bout de bras, spectateurs soûls d’une même fraternité mécanique, qui hurlent si fort qu’il les entend sous son casque dans les passages plus lents : « Dingue ! Du jamais vu ! » commente-t-il après l’arrivée.

Sur le podium, Mike agite sa casquette jaune Dunlop et s’offre une longue rasade de champagne à même le jéroboam. C’est John Williams, bob rouge vissé sur la tête et arrivé 2e sur sa Honda, qui lui tend la bouteille, certain qu’il n’a été vaincu que par le plus grand ; il tire sur la cigarette qu’il tient entre pouce et index puis applaudit le champion. Le cérémonial est moins solennel qu’aujourd’hui mais sincère, empreint d’une admiration éperdue. Mike écrase une larme furtive. Il ne voit pas son père dans la foule qui l’acclame, mais il savoure ce moment, qui atteste qu’à 38 ans, il peut encore tutoyer les dieux. Comme avant.
La légende
C’était la 13e victoire de Mike Hailwood au Tourist Trophy, la course la plus dingue au monde. Celle qui l’a élevé au rang de légende absolue, capable de revenir de nulle part, 11 ans plus tard, et de reprendre immédiatement sa place au firmament de sa discipline. En réalité, Mike a encore gagné un Tourist Trophy, l’année suivante, dans la catégorie Senior, au guidon d’une Suzuki RG500. Dans sa carrière, il aura piloté 70 modèles de motos de 50 à 1000 cm3 d’une quinzaine de marques différentes, et il les aura presque toutes menées à la victoire. Mais s’il en reste une, une seule qui se dégage de cette incroyable collection, c’est la Ducati 900SS du Tourist Trophy 1978. Ne retenons donc que la légende.

Cela s’est passé voilà 46 ans. C’est la raison pour laquelle la montre « Club Pecqueur Motorists » « Tribute to Mike the Bike » est produite à 46 exemplaires seulement. Pas un de plus. Elle reprend par touches subtiles les couleurs italiennes que portait la Ducati 900SS du Tourist Trophy, dominante rouge et bas de carénage vert, séparés par un filet blanc. Même le dos de la montre, que l’on portera sur la peau, recèle des surprises : le chiffre 12, que la moto arborait en course, dans une authentique typo Ducati, se trouve sur le boîtier, alors que l’envers du bracelet se pare de la complémentaire de la surpiqûre, rouge ou verte. Une montre très exclusive, aussi unique, aussi mythique que l’homme et l’exploit insensé qu’elle rappelle.